Anaïs DRABO, Ouagadougou, 36 ans, mère de trois (03) filles (9 ans, 6 ans et 1 an).
Question : Quel rôle avez-vous joué avant et pendant l’avènement de ce coup d’Etat?
Réponse : Je me nomme Anaïs Drabo, on a vu que les ⅔ du territoire burkinabè étaient envahi par les terroristes. En tant que maman et mère de trois enfants, j’ai décidé de me battre pour l’avenir de mes enfants car le mien étant hypothéqué. C’était cela ma première préoccupation. Il a fallu que je sorte dans la rue pour dire non ! Stop, c’est trop ! Je n’ai pas la possibilité ni les moyens de m’exiler si le pays plonge dans un chaos. C’est cela qui m’a donné la force de revendiquer.
Q. Pourquoi avez-vous mis en place une telle organisation de la société civile ?
R. Parce que le Burkina était en perdition. C’est un ensemble d’une jeunesse consciente qui s’est réveillée et qui a dit ‘’non, il est temps de dire non à un gouvernement médiocre”. Il y a du tout dans l’organisation… Des psychologues, des ingénieurs, des professeurs d’université, etc. Moi-même, je suis comptable et coiffeuse. Donc c’est tout un mélange de personnes conscientes d’une situation qui va à la dérive. Raison pour laquelle on s’est levé pour dire Stop ! Ça doit changer.
Q. Quand est-ce que votre organisation a été mise en place ?
R. L’organisation a été formalisée le 12 novembre 2021, juste avant le coup d’Etat.
Q. Pouvez-vous une fois encore me dire l’objectif que vous visiez à travers cette organisation ?
R. Notre objectif, c’était de dire au président Kaboré de quitter le pouvoir parce qu’il était nul. Il a permis l’envahissement du territoire par les terroristes. Ce qui a engendré des milliers de déplacés. Nous avons trouvé qu’il était nul, il n’était pas à sa place. Il fallait qu’il parte à tout prix. C’était cela l’objectif.
Q. Vous n’êtes ni politique ni militaire…Pourquoi êtes-vous fâchée après le président Kaboré?
R. Parce que je suis mère tout simplement. J’aspire à un excellent futur pour mes trois (03) enfants.
Q. Votre organisation regorge de combien de membres ?
R. Nous sommes trente-cinq mille (35 000) !
Q. Avez-vous participé à des manifestations?
R. Oui ! J’étais une actrice de premier plan. On est sorti dans les rues les 16 et 27 novembre 2021, le 4 décembre 2021 et le 22 janvier 2022.
Q. Que pensez-vous du Coup d’Etat ?
R. Personnellement, je suis très contente ! Parce que le peuple a été libéré.
Q. Est ce que vous supportez le coup d’Etat qui a été perpétré récemment au Burkina Faso?
R. Oui bien sûr ! Je le supporte parce qu’ils sont venus libérer les Burkinabè. Parce que c’est la jeunesse qui prend en main son destin. Mais il ne faudra pas que ce pouvoir-là prenne les pas du président Kaboré. Sinon nous allons encore sortir dans les rues pour lui dire de partir.
Q. Pourquoi avez-vous besoin que le nouveau gouvernement travaille plus que le président Kaboré ?
R. Parce que c’est un gouvernement militaire. Ils vont prendre les choses en main. Nous souhaitons que le territoire doit être débarrassé de ses terroristes. Nous soutenons ce gouvernement militaire parce que nous estimons qu’il a les moyens de libérer le territoire burkinabè…Franchement que les militaires ne viennent pas dormir au pouvoir comme le précédent régime.
Q. La CEDEAO a condamné la prise du pouvoir par les militaires, quel est votre avis sur cette sortie de l’institution?
R. Hum ! Je ne veux pas emprunter de gros mots… Elle était ou cette CEDEAO quand le peuple mourait ? Elle était ou quand on criait au secours ? Nous, on se moque de la CEDEAO, Anais DRABO se moque de la CEDEAO. Qu’elle laisse notre gouvernement travailler dans la sérénité afin de restaurer l’intégrité de notre territoire.
Q. Il y a dix ans, le Burkina Faso était un pays de paix. Aujourd’hui, l’insécurité a pris le dessus avec le phénomène djihadiste. Qu’en pensez-vous ?
R. On est d’abord sorti en 2014 pour dénoncer les vingt-sept ans de gouvernance du président Kaboré. Nous lui avons dit stop ! Nous voulions une rupture à l’époque. Nous sommes sortis, les gens ont été blessés, on pensait avoir une révolution. Mais le peuple a été trahi. Le président Kaboré est venu en 2015 et il nous a mis en retard. En six ans, on a eu l’impression qu’on n’a pas avancé. Ce nouveau gouvernement, formé de militaires, nous donne un espoir.
Q. Pensez-vous que le nouveau régime fera mieux que le précédent ?
R. On attend de constater. Nous n’allons plus commettre les erreurs de 2014… Dormir et les observer. Les défis sont énormes. Tant qu’ils sont pour le peuple, nous serons avec eux. Dans le cas contraire, nous allons continuer de manifester et de réclamer leur départ.
Q. Comment était le Burkina Faso avant la gouvernance du président Kaboré?
R. Je n’ai pas connu le président Compaoré. Mais je crois qu’il a fait mieux que Kaboré. Le premier a péché en voulant imposer son frère cadet aux Burkinabè. Sinon on vivait bien.
Q. Pourquoi êtes-vous la seule femme de votre organisation à vous illustrer ?
R. Je pense que les femmes n’ont surtout pas confiance en elles même. Elles ont refusé de s’assumer. Moi, j’ai personnellement été combattue.
Q. Avez-vous entendu les coups de feu autour de la maison du président le jour du Coup d’Etat ?
R. J’étais en prison. J’ai été libérée le 24 janvier 2022, jour du coup d’Etat. J’étais en garde à vue au commissariat de Wemtenga (un quartier de Ouagadougou). Ça fait trois fois que j’ai été interpellée de juin à novembre 2021. C’est sans doute parce que le régime est tombé que j’ai été libérée si tôt. J’aurais pu y passer encore plus de temps. Le pays allait en couille, plus rien n’était normal. Nous avons été enlevés en plein milieu du tribunal administratif. Cela montrait à quel point la justice était corrompue.
Q. Quand avez-vous commencé à protester officiellement contre la gouvernance Kaboré?
R. C’était en juin 2021 en marge de l’attaque de Solhan. Cela m’a révolté. J’ai été virulente contre le président notamment sur Facebook. Je militais à peine dans un parti politique de la mouvance au pouvoir, j’y ai été chassée parce que j’ai osé critiquer le président Kaboré. Dès cet instant, je me suis sentie libérée. J’ai compris que le président était mal entouré et je ne regrette pas mon engagement.
Q. Comment vous êtes-vous senti quand vous avez appris le coup d’Etat?
R. J’étais contente ! Autrement, je serais toujours en prison, pour avoir dénoncé le régime.
Q. De là d’où je viens, les coups d’Etat sont décriés par les populations. Pourquoi ici au Burkina, on a un effet contraire. Pourquoi on a l’impression que les populations soutiennent les coups d’Etat?
R. Nous soutenons le coup d’Etat parce que le civil qui était là est passé coté de nos attentes. Donc, pour cela, nous devons mettre les nouveaux dirigeants face à leurs responsabilités. Il faut qu’ils travaillent pour le peuple et pour la nation burkinabè.
Q. Comment faites vous pour vous en sortir dans la vie maintenant ?
R. Je suis comptable de formation. Je travaillais dans une société privée. Mais j’ai perdu mon emploi à cause de mes prises de positions. Aujourd’hui, je me contente de la coiffure et c’est la raison pour laquelle je suis ici, chez une de mes clientes. Ma vie maintenant est difficile. J’ai à peine quarante mille francs CFA par mois et je m’en contente en espérant une meilleure situation pour ma famille et moi.
Q. Nourrissez – vous l’espoir de voir un changement dans votre vie avec l’avènement des militaires au pouvoir ?
R. On gagne ou on gagne ! Il nous faudra veiller pour cela. J’espère… 2014 ne doit et ne peut se répéter. Parce que le peuple burkinabè a été trahi et personne, plus jamais personne ne va encore trahir le peuple.
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Février 2022 – La Rédaction